le site de Jean Aubin

L'Écoloclaste

Voici presque cinquante ans que je m’intéresse à l’agriculture bio. Depuis 1972 exactement. Fils de paysan, je connaissais l’évolution de l’agriculture, pour l’avoir vécue de près dans mon enfance à la fin des années 50, alors qu’elle était encore assez lente, puis de manière accélérée, dans mon adolescence, pendant les années 60.

Cette évolution était d’ailleurs bienvenue, car bien nécessaire, n’en déplaise à ceux qui pensent que «c’était mieux avant». Mais elle m’est vite apparue, au début des années 70, comme menant à une impasse. Pour deux raisons. D’abord, cette nouvelle agriculture, qu’on ne qualifiait pas encore de conventionnelle, avait cessé de se préoccuper de la fertilité des sols. Elle s’en remettait pour cela à la chimie. Ensuite, elle se plaçait dans une situation de dépendance totale aux intrants : mines de phosphates et de potasse ; aliments du bétail importés d’Amérique et d’Asie ; eau d’irrigation, pour les régions qui pratiquaient cette technique ; et par-dessus tout, pétrole et gaz qui, non seulement faisaient tourner les tracteurs, mais surtout permettaient la synthèse des engrais azotés dont l’usage allait croissant... L’idée que ces ressources extérieures puissent un jour se raréfier était totalement ignorée.

L’agriculture bio, que je découvrais à l’époque, me semblait répondre, au moins partiellement, à ces deux problèmes. D’une part, en bio, le souci de la vie du sol, gage de fertilité, est central. D’autre part, la dépendance au gaz et au pétrole est moindre, du fait que les engrais azotés de synthèse y sont proscrits. J’ai commencé à me renseigner, j’ai fait des stages chez des paysans bios; après mes études de maths, lors de mes débuts dans l’enseignement, j’ai passé le bac agricole pour acquérir une formation de base en agriculture conventionnelle ; j’ai ensuite fait une année de formation pour adultes en horticulture, puis deux ans comme ouvrier agricole, dont une chez un maraicher bio ; et, en 1980, j’ai repris la ferme familiale, mais en bio, avec le maraichage comme production principale.

Il m’a ensuite fallu très longtemps pour accepter de me poser certaines questions dérangeantes sur les perspectives qu’offre le bio dans une perspective globale. Et c’est la première fois que j’ose ici formuler ces questions, tant elles me semblent à moi-même blasphématoires, ou en tous cas hérétiques, écoloclastes. Mais je me lance, en les résumant en une seule : si l’agriculture conventionnelle est une impasse pour le monde, le bio est-il à même de relever le défi de nourrir l’humanité dans les prochaines décennies ?

Je ne sais si des études sociologiques ont été réalisées sur les motivations des consommateurs de bio. Dans mon cercle de relations, familiales ou amicales, où il y en a une forte concentration de tenants du bio, c’est même devenu un marqueur social. Et j’ai l’impression que la principale motivation, c’est le souci de santé, la crainte des résidus de pesticides et d’engrais chimiques. Or, sur ce point, je me sens largement en décalage, car cela n’a jamais été mon souci premier depuis que je m’intéresse à ce sujet. Et je crois d’ailleurs que ce n’était pas le souci premier des agronomes et paysans pionniers du bio, avant tout soucieux de fertilité sur le long terme. Bien sûr, la question des résidus de substances de synthèse dans l’alimentation est préoccupante. Et il faut l’élargir, au-delà des produits utilisés en agriculture, aux milliers de molécules de synthèse couramment présentes dans tous les aspects de la vie, en pharmacie ou en cosmétique, dans les peintures, les solvants, les emballages plastiques et les ustensiles de cuisine, le mobilier…. Pour autant, je crains qu’à trop se focaliser sur la question des résidus dans l’alimentation, on fasse l’impasse sur des problèmes probablement plus préoccupants encore, à commencer par celui de la suffisance alimentaire mondiale dans les prochaines décennies. Pour dire les choses crûment, la question principale en 2050 sera-telle «manger des produits avec ou sans pesticides», ou «manger… tout court» ?

La surabondance alimentaire dans laquelle nous vivons depuis une soixantaine d’années en occident nous fait trop facilement évacuer le problème millénaire de l’humanité : qu’y aura-t-il à manger demain ? Il me semble pourtant que c’est une erreur grossière de considérer ce problème comme définitivement réglé, même dans les pays riches. Regardons la situation en face. Dans trente ans, si les courbes démographiques se confirment, l’humanité comptera environ 30% de bouches supplémentaires. 30% de plus, alors que les ressources tendent à se raréfier, pour tout un tas de raisons : perte de fertilité des sols, due aussi bien à la surexploitation qu’au dérèglement climatique, et pouvant aller jusqu’à la désertification ; réduction des ressources en eau, pour les mêmes raisons ; épuisement des mines de phosphates (utilisés comme engrais) et des ressources en gaz et pétrole qui produisent les engrais azotés... 30% de plus, alors que les habitudes alimentaires se modifient, le plus souvent dans le sens d’une plus grande exigence (proportion de produits d’origine animale, variété alimentaire…)

Quel système agro-alimentaire sera alors capable de nourrir durablement l’ensemble de la population mondiale, en jouant sur les deux bouts de la chaine, la production et la consommation, ainsi que sur les étapes intermédiaires (conservation et transformation des aliments, transports…). Côté production, la question essentielle porte donc sur le type d’agriculture le mieux à même de faire correspondre la production avec les besoins. L’héritière de l’agriculture conventionnelle actuelle ? J’ai déjà dit que je n’y crois pas, en raison des deux handicaps évoqués : dépendance et perte de fertilité. L’héritière de l’agriculture bio actuelle ? La réponse n’est pas aussi simple qu’on le souhaiterait. Il faut distinguer deux cas selon le type d’agriculture actuellement dominant.

Dans les pays du sud, l’agriculture conventionnelle très productiviste ne domine pas encore ; il s’agit le plus souvent d’une agriculture traditionnelle, aux rendements parfois assez médiocres. Dans ce cas, oui, le passage au bio peut représenter une amélioration certaine, car il ne consiste pas seulement en un refus des engrais de synthèse et des pesticides, mais il améliore les techniques culturales dans le sens de la préservation et même du renforcement de la fertilité de sols. Parfois cependant, comme dans certaines régions du sud-est asiatique, cette agriculture traditionnelle est déjà extrêmement performante, beaucoup plus que ne le sera jamais l’agriculture conventionnelle. Elle est déjà bio sans le dire, el les marges de progression y sont peut-être plus difficiles.

Dans les pays riches, la situation est totalement différente, car c’est aux rendements de l’agriculture conventionnelle, très largement dominante, qu’il faut comparer ceux du bio. Or si ceux-ci peuvent dépasser ceux de l’agriculture traditionnelle pratiquée au milieu du siècle dernier, ils restent en général très éloignés de ceux de l’agriculture dopée à la chimie. Je me permets de prendre ici un exemple personnel: pendant mon enfance dans les années 1950 dans mon village breton, les rendements en blé tournaient aux alentours de vingt à vingt-cinq quintaux par hectare. Je me souviens de la première fois, vers 1960, où sur une parcelle, mon père, qui était un « bon » agriculteur, avait obtenu quarante quintaux. Un évènement mémorable. La sélection des variétés était passée par là, ainsi que l’augmentation des doses d’engrais. Aujourd’hui, il existe un informel «club des cents quintaux», composé des agriculteurs fiers de rechercher un rendement courant de cent quintaux de blé, et même cent-vingt quintaux de maïs… et ils atteignent souvent cet objectif. Sur des terres comparables, le bio en est plutôt à quarante quintaux. Et encore, c’est en blé ; pour le petit épeautre, c’est souvent à peine dix, comme pour le sarrasin. On mesure le gouffre.

De tels chiffes appellent donc à s’interroger. Nourrir en bio 10 à 20% de la population ne pose pas de problème insurmontable, d’autant plus dans un contexte encore largement excédentaire. Mais se donner comme objectif que demain, le bio ne devra plus alimenter seulement une fraction de la bourgeoisie intellectuelle, mais la moitié, puis la totalité de la population française, c’est une tout autre affaire. Et pour des raisons évidentes, on ne peut tout de même pas compter sur une importation massive du complément à partir des pays du sud… Comment faire ? Ne pas se poser cette question, c’est faire preuve de légèreté. Une légèreté comparable à celle qui préside au domaine de l’énergie, où pour résoudre le problème du climat, « il n’y a qu’à » tout remplacer d’ici vingt ans par de l’électrique, ou plus futuriste, par de l’hydrogène : interdiction dès aujourd’hui du chauffage au gaz et au fioul dans les bâtiments neufs, interdiction à terme des voitures à pétrole… Si on ne modifie pas en profondeur le fonctionnemnt de la société, d’où viendra l’électricité et l’hydrogène pour faire tourner ces pompes à chaleur, pour faire rouler voitures et camions, et pourquoi pas voler les avions ? Bah ! on verra demain ?

Pour l’alimentation aussi, on verra demain ? Cette approche n’est pas satisfaisante. Et cela fait un bon moment que cette question me préoccupe, tout ancien producteur bio que je suis, alors qu’elle semble ne jamais se poser pour les consommateurs de bio. Il me parait évident que pour répondre au défi, l’agriculture bio occidentale devra s’attaquer au sérieux handicap que constitue son niveau de rendement.
Il est vrai que face au défi alimentaire, on peut et on doit aussi agir sur l’autre bout de la chaine, celui de la consommation. En occident, la tendance n’est pas à l’augmentation de la population, mais au contraire à sa réduction. De plus, il y existe une marge importante de modification des habitudes alimentaires dans le sens d’une plus grande frugalité. Et une meilleure gestion permettrait de réduire fortement les pertes alimentaires, qui sont considérables. Cela peut-il suffire pour équilibrer la consommation, en envisageant sereinement une division par deux des rendements ?

Nous aborderons cette question dans un prochain article. 

2021-08-30

Se nourrir en 2050

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Voici presque cinquante ans que je m’intéresse à l’agriculture bio. Depuis 1972 exactement. Fils de paysan, je connaissais l’évolution de l’agriculture, pour l’avoir vécue de près dans mon enfance à la fin des années 50, alors qu’elle était encore assez lente, puis de manière accélérée, dans mon adolescence, pendant les années 60.

Cette évolution était d’ailleurs bienvenue, car bien nécessaire, n’en déplaise à ceux qui pensent que «c’était mieux avant». Mais elle m’est vite apparue, au début des années 70, comme menant à une impasse. Pour deux raisons. D’abord, cette nouvelle agriculture, qu’on ne qualifiait pas encore de conventionnelle, avait cessé de se préoccuper de la fertilité des sols. Elle s’en remettait pour cela à la chimie. Ensuite, elle se plaçait dans une situation de dépendance totale aux intrants : mines de phosphates et de potasse ; aliments du bétail importés d’Amérique et d’Asie ; eau d’irrigation, pour les régions qui pratiquaient cette technique ; et par-dessus tout, pétrole et gaz qui, non seulement faisaient tourner les tracteurs, mais surtout permettaient la synthèse des engrais azotés dont l’usage allait croissant... L’idée que ces ressources extérieures puissent un jour se raréfier était totalement ignorée.

L’agriculture bio, que je découvrais à l’époque, me semblait répondre, au moins partiellement, à ces deux problèmes. D’une part, en bio, le souci de la vie du sol, gage de fertilité, est central. D’autre part, la dépendance au gaz et au pétrole est moindre, du fait que les engrais azotés de synthèse y sont proscrits. J’ai commencé à me renseigner, j’ai fait des stages chez des paysans bios; après mes études de maths, lors de mes débuts dans l’enseignement, j’ai passé le bac agricole pour acquérir une formation de base en agriculture conventionnelle ; j’ai ensuite fait une année de formation pour adultes en horticulture, puis deux ans comme ouvrier agricole, dont une chez un maraicher bio ; et, en 1980, j’ai repris la ferme familiale, mais en bio, avec le maraichage comme production principale.

Il m’a ensuite fallu très longtemps pour accepter de me poser certaines questions dérangeantes sur les perspectives qu’offre le bio dans une perspective globale. Et c’est la première fois que j’ose ici formuler ces questions, tant elles me semblent à moi-même blasphématoires, ou en tous cas hérétiques, écoloclastes. Mais je me lance, en les résumant en une seule : si l’agriculture conventionnelle est une impasse pour le monde, le bio est-il à même de relever le défi de nourrir l’humanité dans les prochaines décennies ?

Je ne sais si des études sociologiques ont été réalisées sur les motivations des consommateurs de bio. Dans mon cercle de relations, familiales ou amicales, où il y en a une forte concentration de tenants du bio, c’est même devenu un marqueur social. Et j’ai l’impression que la principale motivation, c’est le souci de santé, la crainte des résidus de pesticides et d’engrais chimiques. Or, sur ce point, je me sens largement en décalage, car cela n’a jamais été mon souci premier depuis que je m’intéresse à ce sujet. Et je crois d’ailleurs que ce n’était pas le souci premier des agronomes et paysans pionniers du bio, avant tout soucieux de fertilité sur le long terme. Bien sûr, la question des résidus de substances de synthèse dans l’alimentation est préoccupante. Et il faut l’élargir, au-delà des produits utilisés en agriculture, aux milliers de molécules de synthèse couramment présentes dans tous les aspects de la vie, en pharmacie ou en cosmétique, dans les peintures, les solvants, les emballages plastiques et les ustensiles de cuisine, le mobilier…. Pour autant, je crains qu’à trop se focaliser sur la question des résidus dans l’alimentation, on fasse l’impasse sur des problèmes probablement plus préoccupants encore, à commencer par celui de la suffisance alimentaire mondiale dans les prochaines décennies. Pour dire les choses crûment, la question principale en 2050 sera-telle «manger des produits avec ou sans pesticides», ou «manger… tout court» ?

La surabondance alimentaire dans laquelle nous vivons depuis une soixantaine d’années en occident nous fait trop facilement évacuer le problème millénaire de l’humanité : qu’y aura-t-il à manger demain ? Il me semble pourtant que c’est une erreur grossière de considérer ce problème comme définitivement réglé, même dans les pays riches. Regardons la situation en face. Dans trente ans, si les courbes démographiques se confirment, l’humanité comptera environ 30% de bouches supplémentaires. 30% de plus, alors que les ressources tendent à se raréfier, pour tout un tas de raisons : perte de fertilité des sols, due aussi bien à la surexploitation qu’au dérèglement climatique, et pouvant aller jusqu’à la désertification ; réduction des ressources en eau, pour les mêmes raisons ; épuisement des mines de phosphates (utilisés comme engrais) et des ressources en gaz et pétrole qui produisent les engrais azotés... 30% de plus, alors que les habitudes alimentaires se modifient, le plus souvent dans le sens d’une plus grande exigence (proportion de produits d’origine animale, variété alimentaire…)

Quel système agro-alimentaire sera alors capable de nourrir durablement l’ensemble de la population mondiale, en jouant sur les deux bouts de la chaine, la production et la consommation, ainsi que sur les étapes intermédiaires (conservation et transformation des aliments, transports…). Côté production, la question essentielle porte donc sur le type d’agriculture le mieux à même de faire correspondre la production avec les besoins. L’héritière de l’agriculture conventionnelle actuelle ? J’ai déjà dit que je n’y crois pas, en raison des deux handicaps évoqués : dépendance et perte de fertilité. L’héritière de l’agriculture bio actuelle ? La réponse n’est pas aussi simple qu’on le souhaiterait. Il faut distinguer deux cas selon le type d’agriculture actuellement dominant.

Dans les pays du sud, l’agriculture conventionnelle très productiviste ne domine pas encore ; il s’agit le plus souvent d’une agriculture traditionnelle, aux rendements parfois assez médiocres. Dans ce cas, oui, le passage au bio peut représenter une amélioration certaine, car il ne consiste pas seulement en un refus des engrais de synthèse et des pesticides, mais il améliore les techniques culturales dans le sens de la préservation et même du renforcement de la fertilité de sols. Parfois cependant, comme dans certaines régions du sud-est asiatique, cette agriculture traditionnelle est déjà extrêmement performante, beaucoup plus que ne le sera jamais l’agriculture conventionnelle. Elle est déjà bio sans le dire, el les marges de progression y sont peut-être plus difficiles.

Dans les pays riches, la situation est totalement différente, car c’est aux rendements de l’agriculture conventionnelle, très largement dominante, qu’il faut comparer ceux du bio. Or si ceux-ci peuvent dépasser ceux de l’agriculture traditionnelle pratiquée au milieu du siècle dernier, ils restent en général très éloignés de ceux de l’agriculture dopée à la chimie. Je me permets de prendre ici un exemple personnel: pendant mon enfance dans les années 1950 dans mon village breton, les rendements en blé tournaient aux alentours de vingt à vingt-cinq quintaux par hectare. Je me souviens de la première fois, vers 1960, où sur une parcelle, mon père, qui était un « bon » agriculteur, avait obtenu quarante quintaux. Un évènement mémorable. La sélection des variétés était passée par là, ainsi que l’augmentation des doses d’engrais. Aujourd’hui, il existe un informel «club des cents quintaux», composé des agriculteurs fiers de rechercher un rendement courant de cent quintaux de blé, et même cent-vingt quintaux de maïs… et ils atteignent souvent cet objectif. Sur des terres comparables, le bio en est plutôt à quarante quintaux. Et encore, c’est en blé ; pour le petit épeautre, c’est souvent à peine dix, comme pour le sarrasin. On mesure le gouffre.

De tels chiffes appellent donc à s’interroger. Nourrir en bio 10 à 20% de la population ne pose pas de problème insurmontable, d’autant plus dans un contexte encore largement excédentaire. Mais se donner comme objectif que demain, le bio ne devra plus alimenter seulement une fraction de la bourgeoisie intellectuelle, mais la moitié, puis la totalité de la population française, c’est une tout autre affaire. Et pour des raisons évidentes, on ne peut tout de même pas compter sur une importation massive du complément à partir des pays du sud… Comment faire ? Ne pas se poser cette question, c’est faire preuve de légèreté. Une légèreté comparable à celle qui préside au domaine de l’énergie, où pour résoudre le problème du climat, « il n’y a qu’à » tout remplacer d’ici vingt ans par de l’électrique, ou plus futuriste, par de l’hydrogène : interdiction dès aujourd’hui du chauffage au gaz et au fioul dans les bâtiments neufs, interdiction à terme des voitures à pétrole… Si on ne modifie pas en profondeur le fonctionnemnt de la société, d’où viendra l’électricité et l’hydrogène pour faire tourner ces pompes à chaleur, pour faire rouler voitures et camions, et pourquoi pas voler les avions ? Bah ! on verra demain ?

Pour l’alimentation aussi, on verra demain ? Cette approche n’est pas satisfaisante. Et cela fait un bon moment que cette question me préoccupe, tout ancien producteur bio que je suis, alors qu’elle semble ne jamais se poser pour les consommateurs de bio. Il me parait évident que pour répondre au défi, l’agriculture bio occidentale devra s’attaquer au sérieux handicap que constitue son niveau de rendement.
Il est vrai que face au défi alimentaire, on peut et on doit aussi agir sur l’autre bout de la chaine, celui de la consommation. En occident, la tendance n’est pas à l’augmentation de la population, mais au contraire à sa réduction. De plus, il y existe une marge importante de modification des habitudes alimentaires dans le sens d’une plus grande frugalité. Et une meilleure gestion permettrait de réduire fortement les pertes alimentaires, qui sont considérables. Cela peut-il suffire pour équilibrer la consommation, en envisageant sereinement une division par deux des rendements ?

Nous aborderons cette question dans un prochain article. 

Voici presque cinquante ans que je m’intéresse à l’agriculture bio. Depuis 1972 exactement. Fils de paysan, je connaissais l’évolution de l’agriculture, pour l’avoir vécue de près dans mon enfance à la fin des années 50, alors qu’elle était encore assez lente, puis de manière accélérée, dans mon adolescence, pendant les années 60.

Cette évolution était d’ailleurs bienvenue, car bien nécessaire, n’en déplaise à ceux qui pensent que «c’était mieux avant». Mais elle m’est vite apparue, au début des années 70, comme menant à une impasse. Pour deux raisons. D’abord, cette nouvelle agriculture, qu’on ne qualifiait pas encore de conventionnelle, avait cessé de se préoccuper de la fertilité des sols. Elle s’en remettait pour cela à la chimie. Ensuite, elle se plaçait dans une situation de dépendance totale aux intrants : mines de phosphates et de potasse ; aliments du bétail importés d’Amérique et d’Asie ; eau d’irrigation, pour les régions qui pratiquaient cette technique ; et par-dessus tout, pétrole et gaz qui, non seulement faisaient tourner les tracteurs, mais surtout permettaient la synthèse des engrais azotés dont l’usage allait croissant... L’idée que ces ressources extérieures puissent un jour se raréfier était totalement ignorée.

L’agriculture bio, que je découvrais à l’époque, me semblait répondre, au moins partiellement, à ces deux problèmes. D’une part, en bio, le souci de la vie du sol, gage de fertilité, est central. D’autre part, la dépendance au gaz et au pétrole est moindre, du fait que les engrais azotés de synthèse y sont proscrits. J’ai commencé à me renseigner, j’ai fait des stages chez des paysans bios; après mes études de maths, lors de mes débuts dans l’enseignement, j’ai passé le bac agricole pour acquérir une formation de base en agriculture conventionnelle ; j’ai ensuite fait une année de formation pour adultes en horticulture, puis deux ans comme ouvrier agricole, dont une chez un maraicher bio ; et, en 1980, j’ai repris la ferme familiale, mais en bio, avec le maraichage comme production principale.

Il m’a ensuite fallu très longtemps pour accepter de me poser certaines questions dérangeantes sur les perspectives qu’offre le bio dans une perspective globale. Et c’est la première fois que j’ose ici formuler ces questions, tant elles me semblent à moi-même blasphématoires, ou en tous cas hérétiques, écoloclastes. Mais je me lance, en les résumant en une seule : si l’agriculture conventionnelle est une impasse pour le monde, le bio est-il à même de relever le défi de nourrir l’humanité dans les prochaines décennies ?

Je ne sais si des études sociologiques ont été réalisées sur les motivations des consommateurs de bio. Dans mon cercle de relations, familiales ou amicales, où il y en a une forte concentration de tenants du bio, c’est même devenu un marqueur social. Et j’ai l’impression que la principale motivation, c’est le souci de santé, la crainte des résidus de pesticides et d’engrais chimiques. Or, sur ce point, je me sens largement en décalage, car cela n’a jamais été mon souci premier depuis que je m’intéresse à ce sujet. Et je crois d’ailleurs que ce n’était pas le souci premier des agronomes et paysans pionniers du bio, avant tout soucieux de fertilité sur le long terme. Bien sûr, la question des résidus de substances de synthèse dans l’alimentation est préoccupante. Et il faut l’élargir, au-delà des produits utilisés en agriculture, aux milliers de molécules de synthèse couramment présentes dans tous les aspects de la vie, en pharmacie ou en cosmétique, dans les peintures, les solvants, les emballages plastiques et les ustensiles de cuisine, le mobilier…. Pour autant, je crains qu’à trop se focaliser sur la question des résidus dans l’alimentation, on fasse l’impasse sur des problèmes probablement plus préoccupants encore, à commencer par celui de la suffisance alimentaire mondiale dans les prochaines décennies. Pour dire les choses crûment, la question principale en 2050 sera-telle «manger des produits avec ou sans pesticides», ou «manger… tout court» ?

La surabondance alimentaire dans laquelle nous vivons depuis une soixantaine d’années en occident nous fait trop facilement évacuer le problème millénaire de l’humanité : qu’y aura-t-il à manger demain ? Il me semble pourtant que c’est une erreur grossière de considérer ce problème comme définitivement réglé, même dans les pays riches. Regardons la situation en face. Dans trente ans, si les courbes démographiques se confirment, l’humanité comptera environ 30% de bouches supplémentaires. 30% de plus, alors que les ressources tendent à se raréfier, pour tout un tas de raisons : perte de fertilité des sols, due aussi bien à la surexploitation qu’au dérèglement climatique, et pouvant aller jusqu’à la désertification ; réduction des ressources en eau, pour les mêmes raisons ; épuisement des mines de phosphates (utilisés comme engrais) et des ressources en gaz et pétrole qui produisent les engrais azotés... 30% de plus, alors que les habitudes alimentaires se modifient, le plus souvent dans le sens d’une plus grande exigence (proportion de produits d’origine animale, variété alimentaire…)

Quel système agro-alimentaire sera alors capable de nourrir durablement l’ensemble de la population mondiale, en jouant sur les deux bouts de la chaine, la production et la consommation, ainsi que sur les étapes intermédiaires (conservation et transformation des aliments, transports…). Côté production, la question essentielle porte donc sur le type d’agriculture le mieux à même de faire correspondre la production avec les besoins. L’héritière de l’agriculture conventionnelle actuelle ? J’ai déjà dit que je n’y crois pas, en raison des deux handicaps évoqués : dépendance et perte de fertilité. L’héritière de l’agriculture bio actuelle ? La réponse n’est pas aussi simple qu’on le souhaiterait. Il faut distinguer deux cas selon le type d’agriculture actuellement dominant.

Dans les pays du sud, l’agriculture conventionnelle très productiviste ne domine pas encore ; il s’agit le plus souvent d’une agriculture traditionnelle, aux rendements parfois assez médiocres. Dans ce cas, oui, le passage au bio peut représenter une amélioration certaine, car il ne consiste pas seulement en un refus des engrais de synthèse et des pesticides, mais il améliore les techniques culturales dans le sens de la préservation et même du renforcement de la fertilité de sols. Parfois cependant, comme dans certaines régions du sud-est asiatique, cette agriculture traditionnelle est déjà extrêmement performante, beaucoup plus que ne le sera jamais l’agriculture conventionnelle. Elle est déjà bio sans le dire, el les marges de progression y sont peut-être plus difficiles.

Dans les pays riches, la situation est totalement différente, car c’est aux rendements de l’agriculture conventionnelle, très largement dominante, qu’il faut comparer ceux du bio. Or si ceux-ci peuvent dépasser ceux de l’agriculture traditionnelle pratiquée au milieu du siècle dernier, ils restent en général très éloignés de ceux de l’agriculture dopée à la chimie. Je me permets de prendre ici un exemple personnel: pendant mon enfance dans les années 1950 dans mon village breton, les rendements en blé tournaient aux alentours de vingt à vingt-cinq quintaux par hectare. Je me souviens de la première fois, vers 1960, où sur une parcelle, mon père, qui était un « bon » agriculteur, avait obtenu quarante quintaux. Un évènement mémorable. La sélection des variétés était passée par là, ainsi que l’augmentation des doses d’engrais. Aujourd’hui, il existe un informel «club des cents quintaux», composé des agriculteurs fiers de rechercher un rendement courant de cent quintaux de blé, et même cent-vingt quintaux de maïs… et ils atteignent souvent cet objectif. Sur des terres comparables, le bio en est plutôt à quarante quintaux. Et encore, c’est en blé ; pour le petit épeautre, c’est souvent à peine dix, comme pour le sarrasin. On mesure le gouffre.

De tels chiffes appellent donc à s’interroger. Nourrir en bio 10 à 20% de la population ne pose pas de problème insurmontable, d’autant plus dans un contexte encore largement excédentaire. Mais se donner comme objectif que demain, le bio ne devra plus alimenter seulement une fraction de la bourgeoisie intellectuelle, mais la moitié, puis la totalité de la population française, c’est une tout autre affaire. Et pour des raisons évidentes, on ne peut tout de même pas compter sur une importation massive du complément à partir des pays du sud… Comment faire ? Ne pas se poser cette question, c’est faire preuve de légèreté. Une légèreté comparable à celle qui préside au domaine de l’énergie, où pour résoudre le problème du climat, « il n’y a qu’à » tout remplacer d’ici vingt ans par de l’électrique, ou plus futuriste, par de l’hydrogène : interdiction dès aujourd’hui du chauffage au gaz et au fioul dans les bâtiments neufs, interdiction à terme des voitures à pétrole… Si on ne modifie pas en profondeur le fonctionnemnt de la société, d’où viendra l’électricité et l’hydrogène pour faire tourner ces pompes à chaleur, pour faire rouler voitures et camions, et pourquoi pas voler les avions ? Bah ! on verra demain ?

Pour l’alimentation aussi, on verra demain ? Cette approche n’est pas satisfaisante. Et cela fait un bon moment que cette question me préoccupe, tout ancien producteur bio que je suis, alors qu’elle semble ne jamais se poser pour les consommateurs de bio. Il me parait évident que pour répondre au défi, l’agriculture bio occidentale devra s’attaquer au sérieux handicap que constitue son niveau de rendement.
Il est vrai que face au défi alimentaire, on peut et on doit aussi agir sur l’autre bout de la chaine, celui de la consommation. En occident, la tendance n’est pas à l’augmentation de la population, mais au contraire à sa réduction. De plus, il y existe une marge importante de modification des habitudes alimentaires dans le sens d’une plus grande frugalité. Et une meilleure gestion permettrait de réduire fortement les pertes alimentaires, qui sont considérables. Cela peut-il suffire pour équilibrer la consommation, en envisageant sereinement une division par deux des rendements ?

Nous aborderons cette question dans un prochain article. 

Voici presque cinquante ans que je m’intéresse à l’agriculture bio. Depuis 1972 exactement. Fils de paysan, je connaissais l’évolution de l’agriculture, pour l’avoir vécue de près dans mon enfance à la fin des années 50, alors qu’elle était encore assez lente, puis de manière accélérée, dans mon adolescence, pendant les années 60.

Cette évolution était d’ailleurs bienvenue, car bien nécessaire, n’en déplaise à ceux qui pensent que «c’était mieux avant». Mais elle m’est vite apparue, au début des années 70, comme menant à une impasse. Pour deux raisons. D’abord, cette nouvelle agriculture, qu’on ne qualifiait pas encore de conventionnelle, avait cessé de se préoccuper de la fertilité des sols. Elle s’en remettait pour cela à la chimie. Ensuite, elle se plaçait dans une situation de dépendance totale aux intrants : mines de phosphates et de potasse ; aliments du bétail importés d’Amérique et d’Asie ; eau d’irrigation, pour les régions qui pratiquaient cette technique ; et par-dessus tout, pétrole et gaz qui, non seulement faisaient tourner les tracteurs, mais surtout permettaient la synthèse des engrais azotés dont l’usage allait croissant... L’idée que ces ressources extérieures puissent un jour se raréfier était totalement ignorée.

L’agriculture bio, que je découvrais à l’époque, me semblait répondre, au moins partiellement, à ces deux problèmes. D’une part, en bio, le souci de la vie du sol, gage de fertilité, est central. D’autre part, la dépendance au gaz et au pétrole est moindre, du fait que les engrais azotés de synthèse y sont proscrits. J’ai commencé à me renseigner, j’ai fait des stages chez des paysans bios; après mes études de maths, lors de mes débuts dans l’enseignement, j’ai passé le bac agricole pour acquérir une formation de base en agriculture conventionnelle ; j’ai ensuite fait une année de formation pour adultes en horticulture, puis deux ans comme ouvrier agricole, dont une chez un maraicher bio ; et, en 1980, j’ai repris la ferme familiale, mais en bio, avec le maraichage comme production principale.

Il m’a ensuite fallu très longtemps pour accepter de me poser certaines questions dérangeantes sur les perspectives qu’offre le bio dans une perspective globale. Et c’est la première fois que j’ose ici formuler ces questions, tant elles me semblent à moi-même blasphématoires, ou en tous cas hérétiques, écoloclastes. Mais je me lance, en les résumant en une seule : si l’agriculture conventionnelle est une impasse pour le monde, le bio est-il à même de relever le défi de nourrir l’humanité dans les prochaines décennies ?

Je ne sais si des études sociologiques ont été réalisées sur les motivations des consommateurs de bio. Dans mon cercle de relations, familiales ou amicales, où il y en a une forte concentration de tenants du bio, c’est même devenu un marqueur social. Et j’ai l’impression que la principale motivation, c’est le souci de santé, la crainte des résidus de pesticides et d’engrais chimiques. Or, sur ce point, je me sens largement en décalage, car cela n’a jamais été mon souci premier depuis que je m’intéresse à ce sujet. Et je crois d’ailleurs que ce n’était pas le souci premier des agronomes et paysans pionniers du bio, avant tout soucieux de fertilité sur le long terme. Bien sûr, la question des résidus de substances de synthèse dans l’alimentation est préoccupante. Et il faut l’élargir, au-delà des produits utilisés en agriculture, aux milliers de molécules de synthèse couramment présentes dans tous les aspects de la vie, en pharmacie ou en cosmétique, dans les peintures, les solvants, les emballages plastiques et les ustensiles de cuisine, le mobilier…. Pour autant, je crains qu’à trop se focaliser sur la question des résidus dans l’alimentation, on fasse l’impasse sur des problèmes probablement plus préoccupants encore, à commencer par celui de la suffisance alimentaire mondiale dans les prochaines décennies. Pour dire les choses crûment, la question principale en 2050 sera-telle «manger des produits avec ou sans pesticides», ou «manger… tout court» ?

La surabondance alimentaire dans laquelle nous vivons depuis une soixantaine d’années en occident nous fait trop facilement évacuer le problème millénaire de l’humanité : qu’y aura-t-il à manger demain ? Il me semble pourtant que c’est une erreur grossière de considérer ce problème comme définitivement réglé, même dans les pays riches. Regardons la situation en face. Dans trente ans, si les courbes démographiques se confirment, l’humanité comptera environ 30% de bouches supplémentaires. 30% de plus, alors que les ressources tendent à se raréfier, pour tout un tas de raisons : perte de fertilité des sols, due aussi bien à la surexploitation qu’au dérèglement climatique, et pouvant aller jusqu’à la désertification ; réduction des ressources en eau, pour les mêmes raisons ; épuisement des mines de phosphates (utilisés comme engrais) et des ressources en gaz et pétrole qui produisent les engrais azotés... 30% de plus, alors que les habitudes alimentaires se modifient, le plus souvent dans le sens d’une plus grande exigence (proportion de produits d’origine animale, variété alimentaire…)

Quel système agro-alimentaire sera alors capable de nourrir durablement l’ensemble de la population mondiale, en jouant sur les deux bouts de la chaine, la production et la consommation, ainsi que sur les étapes intermédiaires (conservation et transformation des aliments, transports…). Côté production, la question essentielle porte donc sur le type d’agriculture le mieux à même de faire correspondre la production avec les besoins. L’héritière de l’agriculture conventionnelle actuelle ? J’ai déjà dit que je n’y crois pas, en raison des deux handicaps évoqués : dépendance et perte de fertilité. L’héritière de l’agriculture bio actuelle ? La réponse n’est pas aussi simple qu’on le souhaiterait. Il faut distinguer deux cas selon le type d’agriculture actuellement dominant.

Dans les pays du sud, l’agriculture conventionnelle très productiviste ne domine pas encore ; il s’agit le plus souvent d’une agriculture traditionnelle, aux rendements parfois assez médiocres. Dans ce cas, oui, le passage au bio peut représenter une amélioration certaine, car il ne consiste pas seulement en un refus des engrais de synthèse et des pesticides, mais il améliore les techniques culturales dans le sens de la préservation et même du renforcement de la fertilité de sols. Parfois cependant, comme dans certaines régions du sud-est asiatique, cette agriculture traditionnelle est déjà extrêmement performante, beaucoup plus que ne le sera jamais l’agriculture conventionnelle. Elle est déjà bio sans le dire, el les marges de progression y sont peut-être plus difficiles.

Dans les pays riches, la situation est totalement différente, car c’est aux rendements de l’agriculture conventionnelle, très largement dominante, qu’il faut comparer ceux du bio. Or si ceux-ci peuvent dépasser ceux de l’agriculture traditionnelle pratiquée au milieu du siècle dernier, ils restent en général très éloignés de ceux de l’agriculture dopée à la chimie. Je me permets de prendre ici un exemple personnel: pendant mon enfance dans les années 1950 dans mon village breton, les rendements en blé tournaient aux alentours de vingt à vingt-cinq quintaux par hectare. Je me souviens de la première fois, vers 1960, où sur une parcelle, mon père, qui était un « bon » agriculteur, avait obtenu quarante quintaux. Un évènement mémorable. La sélection des variétés était passée par là, ainsi que l’augmentation des doses d’engrais. Aujourd’hui, il existe un informel «club des cents quintaux», composé des agriculteurs fiers de rechercher un rendement courant de cent quintaux de blé, et même cent-vingt quintaux de maïs… et ils atteignent souvent cet objectif. Sur des terres comparables, le bio en est plutôt à quarante quintaux. Et encore, c’est en blé ; pour le petit épeautre, c’est souvent à peine dix, comme pour le sarrasin. On mesure le gouffre.

De tels chiffes appellent donc à s’interroger. Nourrir en bio 10 à 20% de la population ne pose pas de problème insurmontable, d’autant plus dans un contexte encore largement excédentaire. Mais se donner comme objectif que demain, le bio ne devra plus alimenter seulement une fraction de la bourgeoisie intellectuelle, mais la moitié, puis la totalité de la population française, c’est une tout autre affaire. Et pour des raisons évidentes, on ne peut tout de même pas compter sur une importation massive du complément à partir des pays du sud… Comment faire ? Ne pas se poser cette question, c’est faire preuve de légèreté. Une légèreté comparable à celle qui préside au domaine de l’énergie, où pour résoudre le problème du climat, « il n’y a qu’à » tout remplacer d’ici vingt ans par de l’électrique, ou plus futuriste, par de l’hydrogène : interdiction dès aujourd’hui du chauffage au gaz et au fioul dans les bâtiments neufs, interdiction à terme des voitures à pétrole… Si on ne modifie pas en profondeur le fonctionnemnt de la société, d’où viendra l’électricité et l’hydrogène pour faire tourner ces pompes à chaleur, pour faire rouler voitures et camions, et pourquoi pas voler les avions ? Bah ! on verra demain ?

Pour l’alimentation aussi, on verra demain ? Cette approche n’est pas satisfaisante. Et cela fait un bon moment que cette question me préoccupe, tout ancien producteur bio que je suis, alors qu’elle semble ne jamais se poser pour les consommateurs de bio. Il me parait évident que pour répondre au défi, l’agriculture bio occidentale devra s’attaquer au sérieux handicap que constitue son niveau de rendement.
Il est vrai que face au défi alimentaire, on peut et on doit aussi agir sur l’autre bout de la chaine, celui de la consommation. En occident, la tendance n’est pas à l’augmentation de la population, mais au contraire à sa réduction. De plus, il y existe une marge importante de modification des habitudes alimentaires dans le sens d’une plus grande frugalité. Et une meilleure gestion permettrait de réduire fortement les pertes alimentaires, qui sont considérables. Cela peut-il suffire pour équilibrer la consommation, en envisageant sereinement une division par deux des rendements ?

Nous aborderons cette question dans un prochain article.