le site de Jean Aubin
L'Écoloclaste
Jean Aubin planetebleue.editions@gmail.com
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L’hydrogène, énergie de l’avenir… Une énergie propre, dont l’usage ne rejette aucun déchet, mais seulement de l’eau... Une énergie pratiquement inépuisable, tant l’hydrogène est abondant sur terre… Houlà !... avant d’écouter n’importe quoi, quelques précisions scientifiques s’imposent.
La première chose, qu’on oublie le plus souvent, c'est que l’hydrogène, de même que l’électricité, n’est pas une source d’énergie. Il n’y a pas plus de source d’hydrogène exploitable sur la planète que de source d’électricité directement utilisable. L’hydrogène, l’électricité, ce sont des vecteurs d’énergie, des manières d’utiliser l’énergie, mais qu’il faut d’abord produire, par transformation d’autres énergies disponibles (pétrole, charbon, uranium, vent…). Et s’il est vrai que l’hydrogène est très abondant sur terre, ce n’est pas sous forme pure, mais sous forme combinée, inutilisable (dans l’eau notamment ; mais l’eau ne brûle pas !). Il faut donc extraire l’hydrogène, ce qui nécessite d’utiliser d’autres énergies. En réalité, on ne produit jamais d’énergie (sauf l’énergie nucléaire ; dans tous les autres cas, on ne fait que transformer une forme d’énergie en une autre forme).
La deuxième chose, c'est que pour juger des avantages et des inconvénients d’une technique, il faut considérer l’ensemble de la filière. L’électricité est «propre» à l’usage. Mais si elle peut être très « sale » sur l’ensemble de son cycle, par exemple si elle est produite à partir de charbon (comme plus du tiers de l’électricité mondiale). De même pour l’hydrogène : comment le produit-on ? Selon la technique de production, on parle d’hydrogène noir, ou gris ou bleu, ou vert…
Troisième chose, l’hydrogène utilisé aujourd'hui dans le monde l'est presque totalement comme matière première (raffinage, engrais, chimie, métallurgie). Son utilisation comme vecteur d’énergie n’est aujourd'hui que très marginale (à 5%). Ce sont de ces petits 5% que nous parlons ici, cette toute petite part d’hydrogène-énergie destinée peut-être à beaucoup grossir, dans un objectif de stockage d’énergie (l’hydrogène stocké est ensuite retransformé en électricité, grâce à une pile à combustible, une PAC)
L’hydrogène noir
La production actuelle est très massivement grise (ou noire : les termes sont mal définis). L’hydrogène est en effet produit à 95% à partir de pétrole, de gaz ou de charbon. Une bonne moitié de ce total provient du gaz, par le procédé de vaporeformage (ou simplement reformage) : on mélange du gaz naturel (essentiellement du méthane CH4) avec de la vapeur d’eau H2O et on chauffe très fort ; le carbone du méthane se combine à l’oxygène de l’eau pour former du gaz carbonique CO2 qui est rejeté, et on récupère l’hydrogène provenant de l’eau et du méthane. Le côté très « noir » du procédé, c'est la double émission de CO2 (gaz majeur du dérèglement climatique) : une première fois par l’utilisation d’énergies fossiles pour le chauffage à haute température ; une deuxième fois par les émissions de la réaction chimique. Pour le fun, voici l’équation simplifiée : CH4 + 2 H2O + chauffage —> 4 H2 + CO2
L’hydrogène vert
Le procédé le plus au point actuellement pour produire de l’hydrogène «vert» est celui de l’électrolyse de l’eau : le passage d’électricité décompose la molécule d’eau H2O en hydrogène et oxygène. (D’autres procédés sont à l’état d’études plus ou moins avancées ; nous les passerons sous silence ici. C’est déjà bien assez compliqué !)
L’hydrogène produit par électrolyse ne sera «vert» que si l’électricité utilisée l’est aussi. C’est un moyen mobile, autre que par les batteries, de stocker l’électricité, notamment l’électricité solaire et éolienne produite en excès à certains moments. Reste à comparer les avantages et les inconvénients des différentes filières de stockage mobile (rendements, coûts financiers et coûts énergétiques de leur mise en place, besoins de matières premières, impacts environnementaux…)
Malheureusement, le rendement la filière hydrogène est mauvais. Prenons un véhicule électrique à hydrogène, qui est en réalité un véhicule électrique dont la PAC produit son électricité à partir de la réserve d’hydrogène embarquée. La chaine d’alimentation part de l’électricité, passe par l’électrolyse, par la compression de l’hydrogène pour la mise en réservoir et par son transport, par la PAC, puis par le moteur. Le rendement de cette chaine est de 22 à 23% d’après l’ADEME, alors que celui d’un véhicule équivalent, mais à batterie, est trois fois supérieur (de l’ordre de 70%). Il est vrai que le rendement n’est pas tout, et que l'hydrogène peut présenter des avantages sur les batteries : aujourd'hui, la généralisation des batteries au lithium se heurte à la disponibilité mondiale de ce métal, et aux nuisances liées à son exploitation, au recyclage des batteries...
D’autre part, on peut considérer que même avec seulement 23% de rendement, l’hydrogène reste une bonne affaire s’il utilise une énergie gratuite, l’électricité produite en excès à certains moments, et qui sinon aurait été perdue. Encore faut-il que ce sauvetage d’un kilowattheure à partir de plus de quatre kilowattheures justifie la création des électrolyseurs, des compresseurs, des réservoirs, des PAC, des camions-citernes d’hydrogène… ce qui consomme également de l’énergie, des matières premières, de l’argent, et produit des nuisances. Des études pointues s’imposent avant de dire si le jeu vaut la chandelle.
Et quelle est la stratégie derrière le choix de l’hydrogène ? S’agit-il juste d’effacer les pointes de production, comme on vient de l’évoquer ? Mais alors, toute l’infrastructure évoquée ci-dessus n’est utilisée qu’à certains moments ; se justifie-telle ? S’agit-il de manière beaucoup plus ambitieuse de remplacer par de l’hydrogène les carburants issus du pétrole? Si c’est vraiment l’objectif, il va falloir décider —on en revient toujours au même problème— comment on produit cet hydrogène. De manière «grise» ? C'est absurde côté climat : mieux vaut en rester au gazole et au kérosène. De manière «verte», à partir d’électricité renouvelable ? La société devra alors changer sérieusement d’attitude sur le nombre d’éoliennes et d’hectares de panneaux photovoltaïques qu’elle est prête à accepter, et sur les moyens permettant d’atteindre un tel objectif... A partir d’électricité nucléaire ? Indépendamment des problèmes de sécurité, de déchets, de démantèlement de centrales, il faudrait s’interroger sur l’uranium disponible pour une telle conversion mondiale. Et dans tous les cas se pose la question financière, pour la mise en place de toute la filière, depuis la production d’électricité jusqu'au moteur… avec un rendement d’à peine 25%...
Alors, demain ? Probablement un peu d’hydrogène-énergie, pour certains usages. Au-delà ? Avant de bâtir des châteaux en Espagne, on pourrait déjà se donner comme premier objectif de remplacer l’hydrogène gris utilisé dans l’industrie par de l’hydrogène plus vert.
La civilisation de l’hydrogène ? Un monde tout propre, sillonné de voitures, de poids lourds, de cargos, d’Airbus et de Boeings alimentés par de l’hydrogène créé en claquant des doigts. C’est magique. On ne veut plus du pétrole, on a des idées, pour se dire que le monde sans pétrole ressemblera au monde «avec», mais en mieux. Suelement, la réalité est moins simple qu’un slogan électoral. Les rêves de solutions technologiques ne dispensent pas de réfléchir à la sobriété énergétique et au partage équitable des ressources. Demain sera différent d’aujourd'hui.