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L'Écoloclaste

2022-06-01

Gauche radicale? Extrême-gauche?

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La France Insoumise, et son leader Mélenchon, sont le plus souvent qualifiés d’extrême gauche, ou de gauche radicale. Est-ce justifié? Cette question n’a guère de sens sans référence à l’Histoire. Or celle-ci est riche d’exemples de partis nés à l’extrême gauche et se déplaçant vers une gauche modérée, puis vers le centre ou même la droite, où ils finissent par mourir de vieillesse. La radicalité à gauche, c'est une notion à la fois relative et éphémère.

Au dix-neuvième siècle, avant l’existence de véritables partis légaux et organisés, on ne peut distinguer que des mouvements d’idées. Parmi eux, le mouvement libéral, en première ligne au moment de la Révolution, puis après Waterloo, s’est montré subversif (de gauche?) dans sa lutte contre l’arbitraire royal. Mais une fois acquise la participation de la bourgeoisie au pouvoir d’état, dans la cadre du suffrage censitaire, les libéraux se sont révélés fort conservateurs, défendant farouchement l’élite bourgeoise contre la démocratie, «pouvoir de la populace». La démocratie formelle ayant malgré eux été acquise avec le suffrage «universel» (avec guillemets puisqu’il ne concernait que la moitié masculine de la population), le mouvement démocrate s’est lui-même trouvé débordé sur sa gauche par le mouvement socialiste, au sens large du terme, qui estimait largement illusoire l’acquis du vote tant que rien n’était fait contre les injustices sociales et la misère qui marquait si fortement cette période de révolution industrielle.

Au début de la Troisième République, les républicains, qui avaient incarné la gauche contre les rois et l’empereur, ont mis en place d’importantes réformes de structures, mais ont continué à ignorer largement la question sociale. Le mouvement radical (bien nommé à l’époque) et les différents mouvements socialistes ont débordé sur leur gauche ces républicains modérés pour incarner l’élan vers une république sociale. Une fois au pouvoir au début du 20e siècle, le parti «radical» a toutefois vite abandonné ce qui justifiait son nom. Il s’est assagi, se satisfaisant de l’émergence de ses notables locaux, auxquels collait cette fameuse image de «radis, rouges à l’extérieur, blancs à l’intérieurs, et toujours près de l’assiette au beurre». Ce glissement vers un centrisme de bon aloi a conduit le parti radical à s’accrocher d’autant plus fermement à son seul alibi «de gauche», l’anticléricalisme. Le parti socialiste SFIO, issu de l’unification d’un panel de petits partis, a pris à l’extrême-gauche la place laissée vacante par le parti radical. Longtemps réticente à se compromettre au gouvernement, la SFIO a fini par sauter le pas, et a à son tour été doublée sur sa gauche par les communistes. Malgré les divergences entre les trois partis de gauche, le Front Populaire l’a emporté en 1936, réalisant en quelques mois fait un travail énorme, avant d’être enterré de fait par le parti radical.

Sous la Quatrième République, le Parti Radical et la SFIO fonctionnent à plein sur le principe fameux «Nous sommes de gauche, donc du centre, et les circonstances nous obligent à gouverner à droite». Le PCF étant stérilisé dans l’opposition, la gauche véritable est absente du pouvoir, comme elle le restera sous la Cinquième jusqu’en 1981. À la gauche de cette gauche inexistante nait alors le PSU, parti hétéroclite, mais précieux laboratoire d’idées pour une gauche qui en manque tant, entre les renoncements de la SFIO et l’alignement du PCF sur Moscou. C’est alors au tour du PSU de Michel Rocard d’être classé à l’extrême-gauche, à peine moins gauchiste que les trotskistes et les maos!

Né en 1971 sur les décombres de la SFIO, le nouveau Parti Socialiste mené par Mitterrand s’inscrit résolument à gauche, et promet la sortie du capitalisme. Il connait dix ans d’opposition et deux ans de gouvernement dans un positionnement qui aujourd'hui ne pourrait qu’être qualifié d’extrême gauche. En 1983, le PS opère un tournant idéologique, jamais vraiment assumé, qui le ramène dans une position plus classique : à gauche dans l’opposition, copiant largement la droite lorsqu'il la remplace, avec pour se démarquer la recherche désespérée de marqueurs sociétaux «de gauche» (dernière tentative en date, le «mariage pour tous»). Ce faisant, le PS entame à son tour une de ces lentes agonies des partis de gauche en panne d’idées, agonie qui le conduit aux désastres électoraux de 2017 et 2022.

Le tournant de 1983 se situe dans le cadre du phénomène mondial qui a bouleversé le paysage politique à partir de 1980 : l’émergence du néolibéralisme. Face à cette déferlante, les partis de la gauche sociale-démocrate sont un peu partout dans le monde restés tétanisés, incapables d’apporter une réponse à ce qui s’installait comme «pensée unique». Ils ont admis le «There is no alternative» (il n’y a pas d’autre solution) de Margareth Thatcher et s’y sont progressivement ralliés, avec plus ou moins d’enthousiasme (comme Tony Blair) ou de déni honteux (comme le PS français). Abandonnant toute ambition face aux injustices sociales, ils se sont coupés des classes populaires et ont commencé à s’étioler. Des partis de la gauche non communiste qui semblaient installés à jamais dans le paysage politique se sont fait étriller : les partis sociaux-démocrates du nord de l’Europe, les partis travaillistes britannique ou israélien, le Parti du Congrès indien… et bien sûr le PS français.

Qu’aurait-il fallu faire face à la pensée unique? La riposte n’était certes pas simple. Mais le fait que ces partis n’aient trouvé aucune alternative de gauche a enlevé toute justification à leur existence. Une sorte de désespérance politique s’est progressivement installée, apportant avec elle la tentation du pire: s’il n’y avait rien attendre à gauche contre la déferlante néolibérale et son cortège d’inégalités, on allait suivre à l’extrême-droite les fabricants d‘exclusion et les vendeurs de haine.

Seulement, la nature a horreur du vide. Il reste de la place à la gauche de la gauche lorsque celle-ci est représentée en Allemagne par Schröder ou en France par Hollande et Valls. Comme aux autres moments de l’Histoire où la gauche s’est assoupie, iI est naturel qu’émergent des alternatives (Die Linke, Podemos, LFI…). Des tentatives parfois maladroites ou brouillonnes, mais qui ont l’avantage d’exister. Faut-il vraiment qualifier d’extrême-gauche, de gauche radicale, de populistes, des partis qui, en-dehors d’un contexte aussi marqué à droite, seraient considérés tout simplement de gauche ? On peut penser ce qu’on veut de la personnalité de Mélenchon, de ses tendances hégémoniques, de ses prises de positions. On peut croire ou non à la cohérence de son programme, le trouver habile ou malhabile, discuter du réalisme de ses promesses… Il suffit cependant de comparer son discours avec celui de Mitterrand de 1971 à 1981 pour y voir un positionnement analogue sur l’éventail politique, même si le contexte politique a changé considérablement entre temps. Que ce positionnement soit utilisé comme épouvantail par la droite, c’est de bonne guerre: en 1981, elle brandissait de même le spectre des chars soviétiques défilant sur les Champs Elysées… Quant au populisme attribué au programme de LFI ou à celui de la NUPES, il ne dépare guère dans le paquet global de promesses qui fleurissent sur tout l’éventail politique à chaque période l’élection. Et si les divergences entre les formations de la NUPES sont réelles, elles sont du même ordre que celles qui existaient à l’intérieur du Programme Commun de la Gauche des années 1970, du gouvernement de Mitterrand en 1981 ou de la gauche plurielle de Jospin.

Je laisse ici percer une certaine sympathie à l’égard de la tentative NUPES. Une sympathie qui ne signifie pas adhésion à 100%. (Mais je ne me souviens pas avoir jamais voté pour un candidat, un parti ou une alliance sans une certaine réserve, une certaine vigilance, ce qui me parait préférable à une adhésion aveugle.) A deux semaines des législatives, les probabilités d’une victoire de gauche semblent maigres, et les difficultés à affronter en cas de victoire considérables, vu le contexte national et international. Mais comme je l’ai exprimé dans ma lettre au Président Macron (à lire sur ce site), la personnalité et sa vision du mondedu président réélu le disposent très mal à répondre aux problèmes sociaux et environnementaux qui sont devant nous. En dehors même de l’avantage pour la démocratie que représenterait un gouvernement de cohabitation, par rapport à la pitoyable monarchie républicaine qui anesthésie notre vie publique, une victoire de la gauche ouvrirait des perspectives dont on a aujourd'hui bien besoin.